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Channel: Le blogue de Jean-François Lisée » 1995 – Fragments référendaires
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1995 – Lendemains de Non au Non

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Gagner le référendum de justesse fut, pour Jean Chrétien, une expérience traumatisante. Un moment transformateur. Critiqué de toutes parts, au Canada, pour avoir été celui qui avait failli conduire le pays à son décès, Jean Chrétien devient, au lendemain du référendum, un homme pressé. C’est le sujet de ce dernier billet de ma série sur le référendum de 1995.

15 ans déjà !

15 ans déjà !

(Fragments de 1995 – 15 ans déjà depuis le référendum du 30 octobre 1995. Pour éclairer cette période de forte intensité à laquelle je fus mêlé, je vous présente pendant quelques jours des fragments de cette période, des pistes pour comprendre et tirer des leçons, peut-être, pour la prochaine fois….)

Dans les heures qui suivent le référendum il affirme, publiquement et privément, que les  référendums québécois ont assez duré.  Le lendemain du vote, dans un discours à Toronto, il déclare que les Canadiens ont été « extrêmement  généreux » d’avoir ainsi laissé les Québécois tenir deux votes sur  l’indépendance en 15 ans. Maintenant, ajoute-t-il, « on ne peut  continuer indéfiniment ». Cette volonté de bouleverser les règles du jeu mènera, quatre ans plus tard et après beaucoup de rebondissements, à la loi C-20, la loi Dion qui donne au Canada un droit de veto sur l’avenir du Québec.

Mais parallèlement, Jean Chrétien tente, de bonne foi, de livrer aux Québécois la petite marchandise promise pendant les derniers jours de la campagne.

Livrer la marchandise au Québec: un calvaire

En fin de campagne, Jean Chrétien avait promis en catastrophe, et contre toutes les fibres de sa volonté politique, de reconnaître le caractère distinct du Québec et de redonner à la province son droit de veto sur les changements constitutionnels.

Restant à la fois vague et ambitieux, Chrétien avait déclaré qu’il allait mettre en œuvre les « changements nécessaires » et se gardait ouvertes « toutes les voies de changement, y compris les voies administratives et constitutionnelles ».

Combien d’électeurs d’octobre 1995 ont choisi le Non, pensant que leur vote aboutirait à une réelle reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise, avec de réels pouvoirs pour le Québec ? Selon un coup de sonde, 14% des électeurs du Non affirment que ces discours ont contribué à leur décision.

Chrétien était sérieux. Et dès le lendemain du vote, il se met à la besogne et souhaite livrer la marchandise promise avant Noël, donc en moins de deux mois.

D’autant que, trois jours avant le référendum, son gouvernement et ses députés ont contribué à une immense manifestation à Montréal visant à démontrer aux Québécois que le Canada anglais était attaché au Québec et enfin prêt à le démontrer clairement.

Il est effarant de lire le récit de ces quelques semaines, tel que relaté par les journalistes Edward Greenspon et Anthony Wilson-Smith dans leur livre de 1996 Double Vision, sur les coulisses du gouvernement Chrétien, d’où ce récit tire l’essentiel de sa science.

Premier arrêt: le caucus des députés libéraux

Le lendemain du référendum, à son caucus dont plusieurs membres ont participé à la manifestation de Montréal, Chrétien plaide l’urgence d’agir. Il frappe un mur.  Des députés de l’Ouest canadien et de l’Ontario lui disent que même si, la veille, presque la moitié des Québécois ont dit Oui à la souveraineté, la question du Québec n’est plus à l’ordre du jour et que ni l’Ouest, ni l’Ontario ne sont disposés à des concessions envers le Québec.

Le premier ministre a pourtant une excellente idée. Une « astuce » selon le célèbre mot de l’époque. Il rêve de convaincre six provinces d’accepter d’enchâsser dans la constitution le principe selon lequel le Québec est une « société distincte ». Pour que cet amendement entre dans la constitution, il faut sept provinces représentant 50% de la population canadienne. Quelle serait la 7e province ? Bon sang mais c’est bien sur: le Québec !

Chrétien tenant derrière lui six provinces, piègerait le nouveau premier ministre québécois Lucien Bouchard. Il n’en tiendrait qu’à lui de faire adopter par son Assemblée nationale une résolution rendant le Québec officiellement distinct ! Imaginez, en cas de refus, le fracas que lui ferait son opposition libérale ! Le Non a gagné après tout, diraient les libéraux de Daniel Johnson. On ne va pas, en plus, refuser cette chance historique !

Deuxième arrêt: les provinces

Même le fidèle serviteur Roy Romanow tourne le dos au réformiste Chrétien!

Même le fidèle serviteur Roy Romanow tourne le dos au réformiste Chrétien!

On en salive déjà, chez les fédéralistes informés. Reste ce détail: convaincre six premiers ministres provinciaux.  Il parle d’abord à son grand ami et allié Roy Romanow, en Saskatchewan, son compère dans le rapatriement de 1982. Il frappe un autre mur. « Ce serait difficile à vendre ici, »  en Saskatchewan, lui dit-il.

A peine 24 heures après le résultat référendaire, Chrétien discute avec le premier ministre ontarien Mike Harris. Il lui refuse son appui, disant vouloir se concentrer sur ses réformes économiques (ce qu’a confirmé à ce blogueur un conseiller de Harris).  L’Ontarien informe aussi Chrétien que, pour adopter un tel amendement, il faudrait un référendum en Ontario ! Bonnes chances !

De toutes façons, ajoute Harris, il ne voit pas l’urgence.  Donc, la Saskatchewan dit Non, l’Ontario dit Non. Chrétien ne s’informe même pas auprès de l’Albertain Ralph Klein, qui vient de dire à ses collègues qu’il était temps de passer à d’autres revendications que celles du Québec. C’est le troisième Non. Il n’y aura pas six provinces. Il n’y aura pas de piège pour le Québec. Surtout, il n’y aura pas de possibilité pour le vrai chef du Camp du Non de remplir sa promesse au Québec.

Troisième arrêt: le conseil des ministres

De retour à Ottawa, trois jours après le référendum, Jean Chrétien rencontre son conseil des ministres pour trouver, là, les appuis qu’il n’arrive pas à susciter dans les provinces. Après tout, il s’agit des ministres qui, il y a une semaine à peine, le pressaient d’être plus actifs dans le dossier québécois, de prendre l’offensive, de sauver le pays.

Aujourd’hui, leur message est clair: ils pressent Jean Chrétien de ne rien faire.  En fait, déjà, les ministres libéraux soutiennent que la quasi-défaite référendaire n’est pas attribuable à une trop faible autonomie ou reconnaissance du Québec dans le Canada, mais au contraire à une trop faible intervention du Canada dans la vie des Québécois.

Les adjoints du premier ministre donnent, de surcroît, à Chrétien le pouls de l’opinion publique canadienne anglaise : plutôt braquée contre des changements favorables au Québec que séduite par les charmes de la conciliation.

Au vu de ces objections et de ces blocages, un Jean Chrétien penaud se contente d’une résolution purement symbolique de la Chambre des Communes déclarant le Québec société distincte.

Pour ce qui concerne le droit de veto, il n’est ni question de le donner spécifiquement au Québec ni de l’enchâsser dans la constitution.  Plus prosaïquement, dans une loi du parlement, le gouvernement canadien stipule qu’il ne donnera son appui à un amendement constitutionnel que si le Québec, l’Ontario, les maritimes, les provinces des prairies et la Colombie-Britannique appuient l’amendement.

Ainsi, chacun a un « droit de veto ».  Mais le parlement fédéral pourrait aussi modifier sa loi pour ne pas tenir compte de ces veto.

Comme seul et unique geste de réelle décentralisation, Chrétien annonce aussi que le gouvernement fédéral déléguera à toutes les provinces la gestion des programmes de formation de la main-d’œuvre, revendication québécoise vieille de 31 ans.

L’entente administrative, de cinq ans renouvelable, sera signée deux ans plus tard, à la veille d’une campagne électorale que Chrétien croit avec raison extrêmement serrée.  L’entente est substantielle, mais Ottawa se réserve le droit de continuer à agir directement en main-d’œuvre, surtout auprès des jeunes.  (Convaincu, par la suite, d’avoir obtenu trop peu de crédit politique pour cette largesse– qu’il appelait auparavant « un caprice » du Québec –, Jean Chrétien et son gouvernement pensent avoir fait une erreur en acceptant cette décentralisation et jurent de ne plus agir de la sorte à l’avenir.)

L’incroyable blocage canadien

Pour tout observateur politique normalement constitué, s’il n’ y avait qu’une fenêtre pour un changement réel dans la fédération canadienne, elle ne pouvait s’ouvrir que dans les mois qui suivirent le référendum de 1995, dans la période suivant le choc de la quasi-indépendance du Québec.

Mais la réalité est autre.  Malgré ce choc, malgré ce near-death experience, ni l’opinion publique ni les élites politiques du Canada n’étaient disposées à modifier l’ordre des choses, à changer une situation qui avait conduit le Québec aux portes de l’indépendance.

L’alors éditorialiste-en-chef de La Presse et partisan du Non, Alain Dubuc, allait, en éditorial dès décembre 1995 accuser Jean Chrétien de ne pas avoir répondu  aux espoirs suscités par ses propos de campagne, en n’adoptant qu’une symbolique résolution sur la société distincte, un droit de veto québécois non constitutionnel et un transfert incomplet de la formation de la main d’œuvre.  Il écrit:

« Une solide majorité de Québécois souhaitent un changement : ceux qui ont voté Non au référendum, ainsi que tous ceux qui ont voté Oui dans l’espoir que ce geste accélère le processus de renouvellement du fédéralisme.  Mais quel changement veulent-ils ? Beaucoup plus que cela.

Soyons clairs : Si M. Chrétien avait  dit, en campagne référendaire, que les perspectives de changement que pourrait offrir le Canada se limiteraient aux trois propositions qu’il a déposées lundi, le Oui l’aurait emporté. »

(Fin de la série 1995 – Fragments référendaires)

Ce billet est adapté de mon livre Sortie de secours — comment échapper au déclin du Québec (Boréal, 2000)


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